Claire Mazzocco

Claire Mazzocco, ingénieure de recherche : « Je veux être un maillon de la chaîne et faire avancer les choses »

Entretien réalisé avec avec F. Chamaraux.

Téléchargez l’entretien

« Je m’appelle Claire Mazzocco, je suis ingénieure de recherche à l’Université de Bordeaux. Je travaille à l ’Institut des Maladies Neurodégénératives de Bordeaux (IMN).

J’ai soutenu ma thèse en 2001 en Neurosciences et Pharmacologie. Je travaillais à l’époque dans un laboratoire de physiologie de l’insecte, sur un neuropeptide chez une blatte. Je me destinais à l’enseignement et la recherche, donc j’ai passé les concours de Maîtres de Conférences, que je n’ai pas eu, ce qui m’a fait continuer ma carrière en recherche en tant qu’ingénieure et chercheure, au gré des CDDs. D’abord deux ans de cancéro sur le foie, puis je suis retournée en neurosciences, où j’ai travaillé sur le développement de la cochlée. Je suis ensuite partie dans un autre laboratoire de neurosciences qui s’intéressait à la physiologie de la locomotion chez l’écrevisse. Je suis de nouveau revenue en oncologie où j’ai travaillé deux ans sur un projet de développement d’appareil pour le dépistage de cancers de la prostate. Ensuite, j’ai été débauchée par une entreprise privée, une start-up qui testait des molécules pour les pharma. Je devais construire et diriger l’équipe de recherche in vivo de l’entreprise, j’avais donc la responsabilité des modèles animaux. Après 4 ans, je suis retournée dans la recherche académique, dans mon ancien labo sur le cancer de la prostate pour finaliser le projet, pour essayer de démarrer un essai clinique avec l’appareil. On n’a pas eu l’argent… Donc mon poste n’était plus financé. C’est là, il y a un an et demi, que j’ai été recrutée par Erwan Bézard à l’IMN pour le projet SOHO.

– Cette succession de CDD donne le vertige ! Cela a dû être fatigant, non ? –

Cela peut déstabiliser, parce que, parfois, tu ne sais pas si tu vas avoir du travail l’année suivante. Et j’ai toujours choisi là où je voulais aller au fil des offres d’emploi, ça m’a toujours fait apprendre beaucoup. C’est très enrichissant, même si parfois c’est frustrant de ne pas arriver à comprendre suffisamment vite tous les tenants et les aboutissants des projets. D’avoir travaillé dans le privé m’a fait apprendre beaucoup, en termes de gestion de projet, du temps, d’apprendre à être plus efficace. Tu travailles sous des contraintes différentes, puisque tu as une obligation de résultats dans les temps. Et dans le privé, tu sais ce que tu coûtes, et on te le rappelle ! Mais maintenant, je suis contente d’être retournée dans le public.

– A quoi ressemble ton quotidien aujourd’hui ? –

Je me partage entre expérimentation et analyse des données concernant certaines pathologies neurologiques en lien avec des expositions à des pesticides. Mon quotidien dans le laboratoire, c’est aussi aider les autres, se donner des coups de main d’une équipe à l’autre, mettre en commun des moyens. Par exemple on mutualise la manip avec l’équipe de Colette Denis, qui travaille à l’INSERM à Toulouse. Cela bénéficie à tout le monde. Et puis cela diminue le nombre d’animaux utilisés. Enfin, en ayant les mêmes échantillons pour les manip de Toulouse et de Bordeaux, nous sommes sûres d’avoir exactement les mêmes expositions, c’est très puissant.

– Participes-tu à d’autres activités scientifiques ? Expertises, conférences grand public ? –

Je donne parfois quelques cours, mais pas de conférence grand public ; non, je suis bien dans mon labo, à mon bureau. Je n’aime pas trop parler en public, ni être sur le devant de la scène. – Quelles sont les qualités à avoir pour faire ce que tu fais ? – Savoir bricoler, savoir faire des choses de ses dix doigts. Avoir des idées. Avec trois bouts de tuyaux, tu fais un montage, il faut se débrouiller. Donc il faut être créative, dégourdie. Ensuite, précision et rigueur : au niveau du geste, des mesures, et dans le fait de suivre le protocole fixé, le planning.

– Tu dois gérer beaucoup d’imprévu ? –

Non, car on tente de les éviter au maximum en anticipant. Avant une manip importante, je refaçonne mon poste, je fais une sorte de répétition générale pour ne pas avoir de mauvaises surprises le jour J. Donc, dans ce que je fais, il y a aussi des qualités d’organisation. Je suis « bordélique », mais organisée ! (rires)

– Comment se passent les interactions avec les militants anti-expérimentations animales ? –

Au quotidien je ne le vois pas ; certains militants veulent l’arrêt de l’expérimentation animale sans vraiment savoir ce qu’on fait. Or l’expérimentation animale est hyper réglementée ; on traite bien les animaux. Nous pouvons être inspectés n’importe quand. Je peux entendre le discours « les modèle animaux ne seront jamais parfaits », c’est vrai. Nous, dès qu’on dispose d’autre chose pour faire avancer la science, on prend ! Les organoïdes par exemple, donnent des résultats prometteurs. Et à long terme, je pense qu’on va vers la fin de l’expérimentation animale.

– Te reconnais-tu dans le terme de « piège de la passion » parfois évoqué par les scientifiques, qui parlent de leur difficulté à penser à autre chose qu’à leur recherche ? –

J’estime qu’on ne peut pas faire de la recherche sans passion. Mais je ne vois pas cela comme un piège. Bien sûr, ce que je fais nécessite un engagement. Parfois, il faut revenir le week-end pour une manip, c’est normal. Et c’est compliqué de séparer la recherche de la vie. En vacances, je prends mon ordi et je regarde mes mails ; mais cela ne me pèse pas, parce que je ne sens pas de pression du labo pour travailler tout le temps, pour répondre aux messages en congé. Donc ces mails, je les regarde par curiosité et non sous contrainte. On me laisse libre, et je m’engage. Je pense que plus tu es libre, plus tu t’engages dans ce que tu fais. J’ai un poste d’ingénieure de recherche. Je ne cherche pas de financements. Les chercheurs, eux, cherchent de l’argent, ils ont d’autres soucis ; mais moi, j’ai le cœur léger, et je fais de la science. Cela me plaît. Je ne veux pas être chef, ni faire de carrière. J’ai un ego bien sûr, qui intervient par rapport à mes compétences. Mais figurer en tête des papiers, je m’en f… ! Je veux être un maillon de la chaîne et faire avancer les choses. Je suis une petite fourmi !

– Ce que tu apprends te rend-il pessimiste ou parviens-tu à garder de l’optimisme ? –

Je suis hyper optimiste ! J’ai l’impression que la science que je fais va contribuer à faire bouger les choses. Ce qu’on apprend sur les problématiques de pesticides, c’est parfois démoralisant, mais cela ne m’empêche pas de dormir. Ce qui m’empêche de dormir, c’est le côté technique, l’organisation de mes manips.

– Qu’est-ce qui est réjouissant dans ton métier ? –

La liberté de réfléchir, de créer, d’avoir des idées, de pouvoir se demander si ça vaut le coup de les appliquer, de les essayer. Donc avoir une certaine marge de manoeuvre de réflexion et d’invention. Ensuite, le côté humain : l’interaction avec les autres au sein de l’équipe, mais aussi à l’extérieur. En vingt ans j’ai « fait » beaucoup de labos bordelais où j’ai gardé des liens, donc je possède un réseau énorme, c’est génial. Je vais aider une copine en cancéro, je vais aider une autre dans son animalerie, j’emprunte telle ou telle chose ailleurs ; il y a plein d’échanges de services informels. Je me sens bien à faire de la science à Bordeaux, et je compte bien y rester. Après mon expérience dans le privé, je suis heureuse d’être retournée dans le public. La vraie science est ici. Mon équipe est hyper dynamique, Erwan encourage et pousse les projets qu’on propose, on peut réfléchir, je ne fais jamais la même chose. Cette liberté de pensée, je ne l’avais pas en entreprise. En ce moment, je suis démarchée, je suis contactée par d’autres boîtes avec de bonnes conditions… mais j’ai dit non ! (rires) »